PRIÈRE POUR LE JOUR DE L’AN
La petite Caroline Duméril (10 ans) écrit ainsi le 31 décembre 1846, sur des feuilles de papier décoré :
Mon cher papa et ma chère maman,
Je profite du jour de l’an pour venir vous remercier de toutes les bontés que vous avez eues pour moi pendant toute l’année. J’espère que je ferai tout ce que je pourrai pour vous contenter et que je travaillerai bien. Si je vous ai fait de la peine cette année j’en suis bien fâchée, j’espère que vous l’oublierez et je tâcherai de vous faire toujours plaisir.
Adieu mon cher papa et ma chère maman.
Votre chère petite fille. C. Duméril. Jeudi 31 décembre 1846.
Je la vois encore, cette lettre de nouvel an que nous rédigions à l’école primaire. J’allais l’acheter au « bollewinkel » en face de l’église Saint-Julien, à Auderghem où nous habitions.
« Bollewinkel » qui vendait aussi de la papeterie. Aaaah, les beaux cahiers Atoma, avec leurs anneaux pleins en plastic coloré. Le côté papeterie sentait bon la rentrée scolaire, les cahiers neufs, lignés, quadrillés. J’aimais moins les cahiers pour le solfège…
Et n’oublions pas les porte-plumes, avec plumes sergent major ou les plumes ballons pour les titres à la ronde et à l’encre de Chine.
Revenons à la lettre de Nouvel An, au pourtour garni de feuilles de houx avec les boules rouges (indispensables), de gui, de neige, d’un rouge-gorge (c’est encore mieux) et surtout des paillettes argentées qui malheureusement tombaient un peu dans l’enveloppe, mais enfin c’est l’intention qui compte, n’est-ce pas ?
Il fallait tracer de fines lignes à la latte et au crayon, pour écrire droit. Et en avant, après un brouillon corrigé par l’institutrice, on se lançait dans l’exploit périlleux d’écrire sans faire de tache et sans passer sa main sur l’encre fraîche. Le buvard, auxiliaire indispensable à l’élaboration du chef d’œuvre, se tenait sous la main encore malhabile.
Et le texte ? Cela ressemblait un peu au modèle de cette lettre de 1846. Comme quoi, depuis le XIXème siècle jusqu’aux années cinquante du XXème, le style n’avait pas beaucoup changé. Ni le respect dû aux parents.
Quoique ! La liberté et la contestation commençaient à poindre, un peu plus à l’adolescence.
Et voilà que tous ces souvenirs qui remontent à la surface et qui me plongent dans un bonheur intense, me font écrire à Dieu une lettre-prière de Nouvel An :
Je n’ai pas acheté de lettre, cher Père éternel, ce n’est plus à la mode, mais l’ordi fera bien l’affaire d’une écolière montée en graine.
J’ai appris, avec les années et les bonnes résolutions tenues quinze jours (dans le meilleur des cas !), que les promesses sont fragiles, surtout celles de la première journée de l’année. Je voudrais quand même essayer, avec ton aide toujours fiable, de mettre le prochain au cœur de mes pensées et de mes actions.
Veux-tu bien m’aider à aller à l’essentiel, sans me perdre dans des détails matériels ?
Tu me connais, je suis très terre à terre et j’aime plonger mes mains dans le cambouis, mais il faudrait sans doute, comme Marie, la sœur de Marthe, m’asseoir aux pieds de Ton Fils et L’écouter, plutôt que de courir dans tous les sens comme une poule sans tête.
J’ai bien besoin de Ton pardon indéfectible pour tous les accrocs dans la toile de mon existence, pour effacer l’ardoise de ces pensées et de ces actes inavouables, même parfois à moi-même. Pourquoi, malgré les pardons serinés lors de tous les cultes, n’agissent-ils pas vraiment ? Est-ce parce que je n’arrive pas à croire que Ta miséricorde est bien plus immense que mes petits pardons étriqués ?
Silence.
Oui, il n’y a que le silence, pour recevoir avec gratitude tous les bienfaits dont tu m’entoures et, s’il te plaît, garde-moi de penser que les malheureux et les oubliés de la terre le sont parce qu’ils n’ont pas mérité cette bienfaisance.
Rappelle-moi, à chaque instant, que je suis ton cœur, ta tête, tes mains et tes pieds pour aller vers mon prochain et me soucier de lui. Sans cela, ma prière serait vaine.
Cher Père éternel, n’oublie pas de me rappeler de chanter tes louanges, car Tu es bon, d’une bonté incompréhensible, choquante, qui me fait ravaler mes critiques à tout-va.
Et voilà que j’ai débordé de ma page bien décorée pour arriver au verso plus terne : que là aussi, dans le gris de la banalité ou le blanc de l’oubli, je Te trouve, car Tu es présent, même si je ne Te vois, ni ne Te sens.
Cher Père éternel, je T’aime, comme une humble grenouille aime une étoile, Toi qui vas briller sur mon chemin de tous les jours.
Ta chère fille reconnaissante.
Yvette
Yvette Vanescote
Janvier 2025