Ah, qu'ils sont beaux les pieds de celui qui annonce de bonnes nouvelles !
Esaïe 52, 7-10 ; Jean 1, 1-18
Oserais-je interroger ce qui nous anime en cette période de fin d’année ?
Oserais-je poser la question de ce qui nous fait « vibrer » en ce jour et à l’approche du terme de ce mois de décembre ?
Quel est le ratio, la proportion, de préoccupations dédiées aux préparatifs des fêtes, et celles liées au sens de ce qui est célébré ?
Que voulons-nous fêter en ces journées de fin d’année ?
D’un côté, nous constatons que ces périodes de fêtes sont des moments privilégiés pour « faire une pause et nous recentrer», renouer avec nos proches, « retomber en enfance » et repenser aux fêtes de notre jeunesse, pour nous retrouver autour de symboles évocateurs (le sapin, les cadeaux, la crèche et les bougies), …
Mais en même temps, de l’autre, nous constatons que le reste de notre « vraie vie » continue à nous solliciter, à mobiliser nos énergies, à nous « prendre la tête », et il est légitime de se demander quel « grand écart » nous faisons en ces périodes.
Nous participons - à notre manière - à ces rituels sociaux qui célèbrent le solstice d’hiver (la victoire de la lumière sur les ténèbres), le passage d’une année à l’autre, avec leur cortège de réjouissances, de moments passés avec la famille et les amis, autour de repas plus riches que d’habitude.
Mais nous sommes portés aussi par une Parole qui peut apparaître de plus en plus étrange dans une société qui se sécularise davantage d’année en année.
Je dis « étrange » mais aussi quasi « étrangère » : les paroles des prophètes bibliques apparaissent bien « déconnectées » de notre quotidien … comment allons-nous leur redonner de l’actualité ?
Prenons l’exemple du passage d’Esaïe prévu pour ce jour de Noël :
« Ah qu’ils sont beaux les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles » (Es 52 :7)
Drôles de paroles, qui résonnent étrangement aux oreilles profanes …
Quoique, ce verset d’Esaïe, lui, soit connu assez largement notamment grâce à l’Oratorio de Haendel, le Messie, qui reprend ce passage: « How beautiful are the feet of them who preach the gospel of peace ». (Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui prêchent l’évangile de paix »)
Cette œuvre de Haendel a volontairement été sortie des églises et a été largement théâtralisée, ce qui permet de faire résonner le texte différemment.
Quand on y regarde de plus près, ce passage est assez surprenant : « Ah qu’ils sont beaux les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles » - Quel est lien entre les pieds et le message apporté ?
Nous sommes en Babylonie (enfin, les premiers destinataires de ce texte) aux environs de l’an 540 acn ; voilà 2 générations que le peuple a été déporté de Jérusalem et l’usure du temps a eu raison de l’impatience du retour de beaucoup.
Ce passage d’Esaïe veut mettre en évidence que la joie est encore envisageable dans la morosité des temps et que, surtout, cette Parole peut encore mettre en route, en marche, soulever les énergies et l’espérance.
Vous l’avez entendu: une joie forte, une jubilation, une énergie, une exaltation imprègnent ce passage ….
Le Messager annonce que Dieu reste aux commandes de la destinée du peuple …
« Ah qu’ils sont beaux les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles » (Es 52 :7) : il y est question de paix, de salut, de venue de Dieu pour régner sur sa ville.
Etonnant que l’on mette en évidence les « pieds » du messager, quand ce qui compte c’est le contenu du message ! Qu’a-t-il donc de si particulier à nous dire cet homme qui marche sur la montagne ? Lui n’est qu’un contenant, un messager ….
Le contenu, le message, c’est une parole de paix, une bonne nouvelle relative au salut … c’est à dire la libération !
Une libération, cela met en marche !
Voilà pourquoi Esaïe insiste sur les pieds du messager ; ce n’est pas une nouvelle que l’on garde pour soi ou qui fait rester sur place !
On se l’approprie et on part en témoigner.
Quand on est marqué par une bonne nouvelle, on meurt d’envie de la partager.
Cette nouvelle est en marche « sur la montagne » : symboliquement dans la Bible, la montagne est le lieu de la rencontre avec Dieu, le lieu où il se révèle, le lieu de la communion avec lui, l’espace et le temps où l’on se consacre à ce qui peut nous enraciner et nous porter dans le long terme.
Par ces temps de face à face, grâce à ces temps de communion, le messager a reçu de son Dieu ce message qu’il s’empresse d’aller partager avec les autres, dans leur réalité de vie !
Voilà la marque du messager : celui qui a été mis au bénéfice d’une parole, d’une confidence, d’une révélation de Dieu grâce à l’attention qu’il a gardée en éveil, grâce au cœur qu’il a gardé ouvert et disponible.
Et les pieds c’est ce qui assure notre liaison avec la terre, c’est ce qui marque l’ancrage dans notre réalité – ce qui atteste de notre présence ici et maintenant dans ce que nous sommes appelés à vivre, et qui nous permet d’aller le partager plus loin !
Ce n’est donc pas une parole « désincarnée », bien au contraire ! C’est une parole qui concerne notre réalité quotidienne, notre vie d’ici et de maintenant et qui veut la placer sous une lumière nouvelle.
Ces versets nous parlent d’une réelle incarnation de la parole de Dieu au milieu de nos réalités malmenées, mais promises à la libération ! …. Voilà pourquoi nous les lisons en ce jour de Noël ….
Serait-ce un message « décalé », déconnecté de ce que l’on vit ?
Non, nous sommes dans du réel : les sentinelles, généralement, sonnent l’alarme ou annoncent de mauvaises nouvelles (l’arrivée d’un danger, la venue d’un ennemi, …) ; ici, elles sont les porte-voix d’une joie inattendue : elles sont elles-mêmes les acteurs d’une rencontre en face à face avec Dieu « C’est la voix de tes guetteurs : ils élèvent la voix, tous ensemble ils poussent des cris de joie ; car c’est face à face qu’ils voient le Seigneur revenir à Sion. Eclatez en cris de joie, toutes ensemble, ruines de Jérusalem ! Car le Seigneur console son peuple, il assure la rédemption de Jérusalem » (Es 52 : 8-9)
Il y a clairement de la lucidité dans ce passage : il y a la prise en compte de la réalité – Jérusalem est en ruines ! Jérusalem n’est plus attrayante ! Il y a belle lurette qu’elle a perdu son pouvoir d’attraction, son autorité, son rayonnement, son aura … qu’elle n’attire plus le regard … comme la foi aujourd’hui aux yeux de beaucoup ….
Mais sur ce champ de ruines, Dieu se donne à rencontrer ! Dieu provoque la rencontre !
Dieu n’attend pas que sa capitale soit restaurée, influente, rayonnante pour revenir y résider ! Il revient y consoler son peuple dans l’état où elle est !
N’est-ce pas une magnifique nouvelle à partager ?
Notre Dieu se préoccupe des ruines de la ville sainte, tout comme de ce qui peut être en ruine dans nos vies …
Et c’est au milieu de ces ruines qu’il veut faire résider son nom …
Bien loin de ce que l’on conçoit généralement comme lieu de résidence des divinités, qui sont attendues pour valider, consacrer la réussite des hommes.
La révolution du Dieu de l’exil et qui sera aussi celui de Jésus-Christ, c’est qu’il n’est plus seulement présent dans nos réussites, dans nos succès (comme certaines « théologies de la prospérité et de la réussite » voudraient nous le faire croire), mais aussi dans nos échecs et nos passages à vide, aussi dans les temps moins glorieux, moins fastes, moins joyeux … et peut-être encore plus fortement.
Ceux qui l’ont expérimenté peuvent pleinement en témoigner ! et alors oui « Ah qu’ils sont beaux les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles » (Es 52 :7)
Nous le savons bien : la réalité du retour d’exil fut largement en demi-teinte !
Peu de judéens sont rentrés à Jérusalem, et ceux qui sont rentrés ont largement «trinqué» tant la réalité était éloignée de leurs espoirs, de leurs projections, de leurs représentations !
Pour eux le contraste fut grand entre ce qu’ils espéraient célébrer dans la joie (le Retour du petit reste, et de Dieu qui manifeste sa fidélité envers et contre tout) et ce qui leur a été réellement donné d’expérimenter : la précarité, le manque, l’humilité de ce qui était possible …
Mais pourtant, ce texte d’Esaïe nous est parvenu AINSI ! En prenant en considération la distance, l’écart entre ce qui était annoncé et ce qui s’est finalement réalisé !
Le rédacteur final de ce passage savait pertinemment bien que le résultat avait été modeste …. Mais cette modestie des faits ne pouvait entraver la joie intérieure, la conviction intime que Dieu restait aux commandes de ce peuple, et que justement ces ruines seraient le lieu de la révélation de qui ce Dieu était pleinement pour tous.
Nous lisons ce texte en 2021 – et nous avons cette conviction intime que, oui, Dieu règne, est présent, agissant, accompagnant des ruines de nos vies.
Nous avons cette conviction qu’il nous permet à chaque fois de recréer du neuf, sous une autre forme, dans l’humilité, sans esprit de revanche, mais dans la force que donne le « face à face », litt « l’œil dans l’œil », qui – plongeant dans l’intériorité – redonne force et courage pour aller partager ces bonnes nouvelles.
Le prologue de l’Ev de Jn entendu ce matin nous parle aussi de ce messager – Jn B – qui est venu rendre témoignage à la lumière, et de cette lumière venue éclairer les ténèbres de ceux qui ont bien voulu l’accueillir.
En ce jour de Noël, soyons reconnaissants pour cette proclamation de la venue d’un Dieu CONCRET, TANGIBLE, PALPABLE, qui vient régner même sur les ruines de nos vies – et qui nous donne de rebondir, de recommencer à vivre autrement.
La lumière de cette Parole se reçoit dans le « face à face » avec Dieu, dans ces moments où il veut nous regarder dans les yeux, sur sa montagne, et où il nous envoie porter plus loin ce message – la joie qui nous animera sera la plus belle marque de sa présence en nous.
« Ah qu’ils sont beaux les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles » (Es 52 :7)
Amen
Pasteure Isabelle Detavernier
Le 25 décembre 2021
(enregistré par Jacques)