La Cène : commémoration, communion et anticipation du Royaume

- 21/11/2021 10:11

Jean 6 25-40 et 48-59 ; Luc 22 14-20

En ce dernier dimanche de l’année ecclésiastique, nous prenons le temps de rappeler à notre mémoire toutes celles et tous ceux qui nous ont quittés. C’est un temps de mémoire, de reconnaissance, mais aussi de ressourcement pour continuer à cheminer dans notre vie humaine, malgré les vides et des peines que provoque le départ des êtres proches.
Les Réformateurs disaient que les sacrements nous étaient donnés pour « pallier nos infirmités » ; par les sacrements du Baptême et de la Cène, Dieu vient à la rencontre de nos faiblesses pour les accompagner, les habiter, les fortifier et nous donner ainsi la force et l’énergie d’avancer sur le chemin.
Voilà pourquoi il est particulièrement important de pouvoir célébrer la Cène ce matin : par le partage du pain et du vin, nous pouvons nous fortifier de la Vie-même du Christ qui se donne à connaître, à reconnaître et à vivre dans cette rencontre. C’est un acte qui transcende les temps et les frontières - ce repas unit les croyants de tous les temps et de tous les lieux.
Dans la célébration de la Cène, toute l’histoire du salut est récapitulée !
Présent, passé, futur, tout est présent dans ce que Christ donne à vivre.
Cette méditation ne se veut pas un traité théologique à propos de la cène mais je m’attacherai davantage aux richesses spirituelles que l’on peut y trouver pour la vivre pleinement : comment la vivre pour en vivre !
Trop souvent, dans nos communautés, le temps de la Cène est réduit à un simple geste de partage, ou de rappel d’un signe que le Christ a laissé à ses disciples.
Mais en réalité, il est tellement plus !
Il y a d’abord, c’est vrai, un temps de commémoration, c’est à dire un acte de mémoire et d’actualisation de ce que le Christ a vécu avec ses disciples. Mais nous sommes invités à y vivre aussi la communion, l’intimité avec le Christ, et y redécouvrir la présence des croyants de tous les temps ; enfin, il nous est donné de discerner l’anticipation de la réalité du Royaume, qui est donné n’est pas encore pleinement réalisé.

1. Commémoration  

Nous l’avons entendu dans l’Évangile de Luc, il y a clairement dans la célébration de la cène une invitation à la vivre « en mémoire du Christ». « Puis il prit du pain, et après avoir remercié Dieu, il le rompit et le leur donna en disant : ceci est mon corps qui est donné pour vous, faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22 : 19)
Quand nous partageons le pain et le vin, nous rappelons l’événement de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ ; nous nous transportons par la pensée et les gestes dans ces années 30 du 1er siècle où Jésus a rassemblé ses disciples et leur a laissé son message ultime avant de les quitter : en célébrant le repas de la Pâque juive avec ses disciples, Jésus s’ancre totalement dans l’histoire de libération que le peuple a vécue avec Dieu lors de sa sortie d’Égypte !
Jésus se fait pleinement fils de son peuple et s’immerge dans sa réalité de peuple qui revit à chaque Pâque ce cadeau fabuleux de la libération de tous les esclavage !
C’est un geste pour contrer l’oubli et la banalisation !
C’est un geste pour rappeler à tout un chacun que l’histoire passée est toujours active et qu’elle est toujours féconde pour aujourd’hui : c’est ancrer notre foi dans une histoire à la fois personnelle et universelle ! Célébrer la cène, c’est cela aussi !
Jésus dit cette si belle phrase à ses disciples : « j’ai tellement désiré prendre ce repas de la Pâque avec vous avant de souffrir » ! (Lc 22 :15)
Il y a une telle insistance à revivre avec ses disciples - à ce moment-là de son ministère- ce temps de commémoration et d’actualisation du cadeau de la Pâque !
Il y a comme un sentiment d’urgence aussi : ne pas laisser passer cette occasion de se retrouver en peuple pour revivre ensemble cet événement fondateur de la foi communautaire ! Et permettre à chacun des membres de vivre cela aussi pour lui-même : chacun est invité à revisiter son existence pour y lire les actes de libération que Dieu y a accomplis.
Dans la Cène, nous sommes invités à expérimenter cette double réalité aussi : relire l’événement de la Croix, où se manifeste l’amour de Dieu pour pouvoir y lire l’histoire de notre vie personnelle avec le Christ, l’histoire de notre libération par le Christ. Rencontre avec lui, découvertes enthousiasmantes, emballements, passions… Tout comme tâtonnements, impasses, chemins arides, désertiques où il semblait absent, …
Toutes ses facettes de notre vie de foi qui nous mettent en lien avec l’expérience multiforme du peuple de Dieu.
Revivre dans la cène les moments forts de libération où Christ nous a remis debout, nous a remis en lien avec ceux dont nous étions éloignés, où il nous a redonné confiance en lui et en nous.
Jésus évidemment a transformé le sens des paroles de la liturgie juive en s’identifiant à l’agneau qui est offert en sacrifice ; la Croix devient le centre de ce que nous sommes appelés à commémorer et à vivre !
Célébrer ensemble la cène nous permet de nous rappeler comment Christ a agi et continue à agir dans nos vies, dans celle de ceux qui sont réunis avec nous et dans celle de ceux qui nous ont quittés ! Comme le Christ a dit « j’ai tellement désiré prendre ce repas avec vous », puissions-nous nous aussi dire «Seigneur, je désire ardemment prendre ce repas avec toi et avec tous ceux qui nous ont précédés sur le chemin de la vie et de la foi ! »

2. Communion  

Voilà la 2è réalité importante de la célébration de la cène : la communion … avec le Christ bien évidemment : le repas de la cène est « communion au corps et au sang de Jésus-Christ ». À travers ce repas, le Christ se donne à nous de manière particulière !
C’est ce que nous avons entendu dans l’Év de Jn : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède la vie éternelle et je le relèverai de la mort au dernier jour. Car ma chair c’est une vraie nourriture est mon sens une vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure uni à moi et moi à lui » (Jn 6 : 54-56)
Quand Jésus emploie ces mots, il veut signifier quelque chose de très fort ! Il s’agit de la communion la plus étroite ! Comme le dit le père franciscain Eloi Leclerc : « Pas seulement une communion d’ordre intellectuel, comme celle qui peut exister entre un disciple et la pensée de son maître, mais une communion d’ordre vital. Ses paroles ne sont pas seulement « esprit » mais « vie ». Elles expriment la participation à une même vie, et précisément à cette vie qui se donne en nourriture » (1)
Comme si ce geste du pain et du vin partagés nous était donné pour nous permettre de pénétrer un peu mieux le mystère d’un Dieu qui se donne, pour que sa vie donnée soit source de vie en nous. Dans le repas auquel il invite, le Christ propose une réelle intimité, proximité, communion : rappelons-nous l’importance que revêtent les repas de la culture ancienne ! On n’invitait pas n’importe qui à partager son repas : le repas était un temps fort de la vie familiale et communautaire ; accueillir quelqu’un à sa table était un geste d’amitié, de confiance, de communion ! Manger au même plat, se passer ou boire à la même coupe était le signe d’une connivence, d’une confiance, d’une communion entre les convives ! Dans la Cène, Jésus invite à partager cette intimité avec lui sans jamais rien forcer : il frappe à la porte et il attend que l’on ouvre (2). C’est lui qui prend l’initiative et qui nous invite à sa table ! En répondant positivement à son invitation, nous exprimons que cette intimité nous fait du bien, qu’elle nous fait grandir, nous faites avancer sur le chemin de la vie. Nous exprimons aussi notre gratitude à être admis dans ce cercle qui ne connaît pas de frontières, ni géographique, ni temporelle ! En participant au repas de la Cène, nous retrouvons – dans cette communion des saints – les croyants de tous les temps et de tous les âges qui nous ont précédés. Tous ceux que nous avons perdus sont là, nous entourent et participent au même don, fait par le Christ. N’est-ce pas une réalité magnifique à redécouvrir ?
(« Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède la vie éternelle et je le relèverai de la mort au dernier jour. Car ma chair c’est une vraie nourriture est mon sens une vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure uni à moi et moi à lui » (Jn 6 : 54-56) )
Christ s’est engagé à ne pas lâcher la main de celui qui a accepté son invitation ! Sa communion est totale et indéfectible ! «Et voici ce que veut celui qui m’a envoyé : c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a confié, mais que je les relève de la mort au dernier jour » (Jn 6 :39)
Sa vie se veut nourriture pour que nous restions vivants, quels que soient les événements de la vie qui nous accablent et nous blessent : les échecs les regrets,…
Continuer à avancer avec le Christ comme nourriture au quotidien…
S’arracher à la fragilité et l’éphémère de notre existence pour faire l’expérience du divin qui joie et plénitude…

3. Anticipation  

Quand Paul nous parle de la célébration de la cène, il nous dit que chaque fois que nous célébrons ce repas «nous annonçons la mort du Christ jusqu’à ce qu’il vienne» I Cor 11 : 26). Jésus dit lui-même « je ne boirai plus de ce vin jusqu’au jour où je boirai avec vous le vin nouveau dans le royaume de mon père » (Mt 26 : 29)
Ainsi, ce que nous vivons dans la célébration de la Cène n’est cependant encore qu’un avant-goût de ce que nous expérimenterons dans le Royaume, ce n’est qu’une « ombre des choses à venir » (Col 2 :17)
Le pain et le vin sont signe, annonce, préfiguration, acompte du grand festin du Royaume, déjà annoncé par les prophètes de l’AT (Es 25:6–9)
Lorsque nous partageons la cène, nous participons à cette attente, nous nous inscrivons dans cette longue nuée de témoins qui nous précèdent dans cette attente, et notamment tous ceux qui nous ont quittés, dont nous avons évoqué les noms ce matin, et tout ceux d’avant encore !
En prenant la cène nous participons par anticipation à ce grand festin du Royaume où Dieu rassemblera tous ses enfants, tous ceux dont Jésus dit qu’il ne peut en perdre aucun (Jn 6 : 39)! Nous y participons de manière certes limitée, partielle, mais mystérieusement, ce Royaume est déjà présent !
Nous retrouvons dans la cène cette grande affirmation du Christ « du Royaume déjà-là et encore en devenir » ! Donc «si la cène est un repas du souvenir, elle est aussi un repas d’espérance ! Ce que nous vivons imparfaitement, incomplètement, dans le provisoire, sera un jour remplacé par la perfection, la plénitude, le définitif. La cène devient ainsi ce viatique qui nous donne la force et le courage d’affronter les soucis, les souffrances et les échecs du quotidien. Ce n’est pas une espérance qui nous coupe de la réalité, mais au contraire qui nous plonge au cœur de celle-ci avec la certitude d’une présence donnée et renouvelée »! (3)

Ainsi, pour tous ceux qui se sentent écrasés par le poids du quotidien, ou la perte des êtres proches, la cène devient le lieu où reprendre force, courage et espérance !
Tout redevient possible par les paroles et les gestes du Christ libérateur qui rencontre nos infirmités et nous introduit dans la réalité nouvelle du Royaume d’amour du père.
Sentons-nous tous les bienvenus à ce repas de commémoration, de communion et d’anticipation du Royaume.

Amen

(1) LECLERC, Eloi, Le maître du désir, Paris, DDB, 1997, p 82.
(2) Cfr Apoc 3: 20
(3) VILAIN, C, Vivre la Cène aujourd’hui, Dossiers vivre 30, Genève 2009

Pasteure Isabelle Detavernier
Le 21 novembre 2021
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