La joie biblique
Sophonie 3 14-18 ; Philippiens 4 4-7 ; Luc 3 10-18
La JOIE est au centre des textes de ce dimanche, vous l’avez entendu.
Au cœur de notre chemin d’Avent (nous en sommes juste à mi-course), en ces journées qui continuent à raccourcir (mais plus pour longtemps !!), avec cette météo plus que morose, dans une actualité qui voudrait nous mettre le moral en berne, voici des textes qui font du bien !
La Parole nous rejoint et vient nous remettre au cœur cette réalité intérieure, profonde, sans cesse à redécouvrir, à « réanimer », et qui nous redynamise !
En même temps, les textes qui sont proposés à notre méditation, dimanche après dimanche, ne nous sont pas donnés pour que nous les utilisions à la manière de la méthode COUE ! «Je vais me répéter chaque jour que je suis dans la joie, alors je vais me sentir dans la joie … !! »
Non, ces textes nous redisent le trésor qui est disponible, et auquel nous pouvons puiser, chacun en fonction de ce qui nous arrive.
Ces textes nous partagent les expériences spirituelles, profondes, d’hommes et de femmes, seuls ou en groupes, en communautés, confrontés à des épreuves, à des blessures, à des incertitudes, à des questionnements, à des horizons sans perspective, et qui – pourtant - avancent jour après jour avec au cœur cette joie qui maintient debout et permet de tenir bon dans l’adversité.
Nous le savons, la joie biblique n’est pas exubérance, euphorie, excitation comme celle de l’enfant qui reçoit le cadeau qu’il convoitait depuis longtemps.
La joie biblique est cette capacité à accueillir chaque situation donnée en sachant qu’elle est placée dans l’horizon de Dieu. Elle est cette façon de se repositionner pour lire et interpréter les événements selon le prisme qu’offrent la foi et la confiance en Dieu. Elle est ce signe que nous sommes déjà partiellement dans le « monde d’après », ce Royaume, cette réalité nouvelle promise, qui féconde déjà l’aujourd’hui de notre condition malmenée.
Elle est ce signe qui anticipe dans notre vie, d’ici et de maintenant, la réalité nouvelle promise par Dieu.
Le prophète Sophonie nous ouvre la voie ce dimanche avec cette proclamation de joie et de restauration promise à la ville de Jérusalem.
«Sophonie», en hébreu «Tsephanya - Dieu cache, Dieu tient en réserve », nom étonnant qui a un côté un peu énigmatique …. Qu’est-ce que Dieu peut bien cacher, tenir en réserve pour son peuple ? Et bien, manifestement, ce qui ne se voit pas au premier abord, ce qui doit être cherché, découvert en Lui … Ce qui doit être tissé dans le rapport personnel avec lui.
Le prophète Sophonie, au 7é s acn en Juda, s’adresse à celles et ceux qui se demandent si Dieu a encore un quelconque intérêt pour ce monde et pour l’humanité, s’il dirige vraiment encore l’Histoire. Sophonie annonce ainsi que, oui, Dieu interviendra de plusieurs manières, à la fois par le jugement, mais aussi par la voie de la restauration après l’épreuve, la chute, la blessure!
« Dieu cache, Dieu garde en réserve » … quoi donc ? Et bien justement cette grâce cette joie, cette vie nouvelle en lui …
Dieu garde en réserve, dans son cœur, ce qu’il nous destine, ce qu’il veut nous offrir, malgré les infidélités. Marie Noëlle Thabut, merveilleuse bibliste catholique, a cette déclaration magnifique : « Notre indignité ne peut éteindre l’amour de Dieu ! ».
C’est ce passage de Sophonie qui lui inspire cette belle déclaration : malgré les infidélités, les errements, les dérapages à répétition de ce peuple qui oublie que Dieu place les petits et la justice au centre, Dieu n’en démord pas de sa passion et de son intérêt pour ces humains faillibles : « Le Seigneur a écarté de toi les jugements, il a détourné ton ennemi ; le roi d’Israël, le Seigneur, est en ton sein ; tu n’as plus de malheur à craindre … en ton sein le Seigneur ton Dieu est un héros sauveur ; il fera de toi sa plus grande joie » (Soph 3 : 15,17)
Dieu a placé sa joie en ce peuple rebelle … Il le sait capable de revenir vers lui, de « rectifier le tir », de manifester devant toutes les nations qu’avec ce Dieu-là, rien n’est jamais perdu et que l’on peut repartir d’un bon pied.
Dieu garde en réserve pour chacun cette joie qui permet de rester debout et d’affronter les difficultés de la vie.
Dieu propose à chacun de pouvoir tisser entre lui et nous ce fil si particulier qui débouche sur la joie : prendre la mesure de la place spécifique qui est la nôtre dans ce monde – à travers les aléas de nos vies agitées, malmenées, garder cette conviction que nous ne sommes pas destinés au néant !
Dieu garde en réserve pour nous cette « joie imprenable » comme la définit la pasteure Lytta Basset. Comme elle l’exprime dans son ouvrage du même nom1, même l’échec, la frustration, la solitude, ces expériences négatives par excellence, ont quelque chose à voir avec l’éclosion de la joie, en Dieu et avec les autres.
Comment la découvrir ? Comment en vivre ? Comment faire de ces textes de chemin d’Avent une nourriture pour chacune de nos journées ?
D’abord, peut-être, en acceptant que cette joie nous soit destinée, que Dieu s’intéresse aussi à notre personne et à ce qui nous arrive.
En acceptant aussi de le laisser prendre place en nous : à 2 reprises dans la petite péricope de ce matin, Sophonie proclame que le Seigneur est « en ton sein » -
Le Seigneur attend de pouvoir résider en nous, d’élire pleinement domicile en nos vies et ainsi faire de nous sa plus grande joie ! Il tisse entre lui et nous un fil intime qui nous garde relié à lui en toute circonstance ; et c’est ce fil tissé qui, pour chacun de nous, est cette joie imprenable orientant nos cœurs, nos esprits et nos vies vers l’apaisement, la sérénité et la confiance.
En ton sein, le Seigneur ton Dieu est un héros sauveur; il fera de toi sa plus grande joie » (Soph 3 :17)
Prendre place en nous, résider en nous, être en notre sein … voilà le désir ardent de Dieu, dont nous célébrons la réalité dimanche après dimanche, dans le rassemblement communautaire, mais qui devient particulièrement palpable en ce temps de l’Avent et de Noël – voilà ce que nous nous apprêtons à fêter : la venue de Dieu dans un enfant vulnérable, source de joie pour l’humanité entière, sans exclusive, sans prérogative, un Emmanuel, non seulement « Dieu avec nous », mais aussi « Dieu pour nous », « Dieu en nous » qui allume ainsi dans l’existence cette flamme de joie que rien ne peut éteindre, même pas la mort.
Ce qui est tissé par Dieu est d’une solidité à toute épreuve et là réside la source de la joie. Dieu ne nous destine pas à la souffrance, au néant, au non-sens, mais il tisse patiemment avec nous ce lien qui nous permet d’entrevoir dans notre quotidien la réalité nouvelle qu’il a inaugurée il y a 2000 ans.
« La Joie de Dieu est passée par le dénuement de la crèche et la détresse de la croix : c’est pourquoi elle est invincible, irrésistible. Elle ne nie pas la détresse là où elle se trouve, mais au sein de cette détresse, en elle, elle trouve Dieu » (D. Bonhoeffer)
Seul quelqu’un qui a traversé les épreuves, les remises en question les plus douloureuses, qui connaît l’issue fatale de son existence – comme Bonhoeffer a pu le vivre – peut faire une telle déclaration ….
« La Joie de Dieu est passée par le dénuement de la crèche et la détresse de la croix : c’est pourquoi elle est invincible, irrésistible. Elle ne nie pas la détresse là où elle se trouve, mais au sein de cette détresse, en elle, elle trouve Dieu » (D. Bonhoeffer)
Bonhoeffer avait bien lu Paul, qui est un magnifique exemple de cette joie intense, prenante, présente, prégnante même dans l’existence d’un croyant malmené.
Le texte de l’épître aux Philippiens est éloquent : Paul est en prison, sans perspective, sans vision sur son avenir. Il ne sait pas s’il sera libéré ou si une autre issue l’attend.
Il est dans le brouillard le plus total – imaginez !
Mais ce qui frappe, c’est que – quelle que soit l’issue de son incarcération - il semble habité par la même sérénité, la même joie, confiance et espérance – la seule chose qui lui importe : être uni au Christ, attaché à lui ! Phil 4 : 12-13 : «12 Je sais vivre dans la pauvreté et je sais vivre dans l'abondance. Partout et en toutes circonstances j'ai appris à être rassasié et à avoir faim, à être dans l'abondance et à être dans le besoin. 13 Je peux tout par celui qui me fortifie, (le Christ) »
Sa communion au Christ est plus forte que ses épreuves ; il peut donc parler de la joie presque comme un commandement : « Réjouissez-vous tjs dans le Seigneur ; je le répète, réjouissez-vous ! » (Phil 4 :4) – ici, clairement, la joie n’est pas un sentiment d’exaltation, conditionné par les circonstances extérieures, mais est un fruit de la foi :
Le pasteur A. Nouis nous secoue quand il dit «chaque fois que nous manquons de joie, c’est que nous manquons de foi, et il nous appartient de nous ré-enraciner dans la grande annonce de la grâce de l’Evangile »(2)
La joie est le signe que l’Evangile est vraiment « bonne nouvelle » pour nos vies.
La joie de Paul est, dans cette épître, clairement liée aux progrès de la proclamation de l’Evangile.
Voilà pourquoi on peut déclarer que cette joie jaillit de la proximité du Seigneur, lui qui vient, qui est déjà là et qui attend notre accueil pour pleinement se déployer.
Il a gardé tout cela en réserve pour chacun de nous, pour nous permettre de nous l’approprier petit à petit, pas à pas.
« Pousse des cris de joie, Jérusalem, …réjouis-toi, exulte de tout ton cœur, Jérusalem la belle, … le Roi d’Israël est en ton sein ! En ton sein, le Seigneur ton Dieu est un héros sauveur; il fera de toi sa plus grande joie » (Soph 3 :14, 15, 17)
Réjouissez-vous dans le Seigneur, je le répète réjouissez-vous ! Le Seigneur est proche » (Phil 4 : 4,5)
Que ce temps de l’Avent nous donne de découvrir toujours mieux ce que le Seigneur a en réserve pour chacun de nous : cette joie qui nous permet de regarder en face, avec confiance, les difficultés de l’existence, car par elle Dieu déploie sa force en nous.
Et nous pourrons alors nous mettre dans les pas du Christ et partager la Joie de l’Evangile avec tous ceux à qui elle fait défaut.
Amen !
(1) Lytta Basset, La joie imprenable, Coll Spiritualités vivantes, Albin Michel, 2004
(2) Nouis, Le NT commentaire intégral, verset par verset, Vol 2 Actes, Epîtres, Apocalypse, Olivétan/Salvator – 2018 – p 1231
Pasteure Isabelle Detavernier
Le 12 décembre 2021
(enregistré par Stéphane)