Ressusciter, c’est s’affirmer vivant tandis que la mort est régnante

- 14/11/2021 01:11

Daniel 12 : 1-4 ; Marc 13 : 24-32

Lundi dernier, au cours d’une conversation téléphonique, la pasteure avec laquelle j’ai accompli mon proposanat, ici-même, m’apprenait qu’elle était hospitalisée, en phase terminale d’un cancer et qu’elle ne pourrait pas rentrer chez elle pour les soins palliatifs parce que la maladie était trop avancée.
Cette nouvelle a été pour moi un coup de tonnerre dans un ciel bleu tellement cette dame de 87 ans avait toujours traversé les différentes étapes de sa vie avec force, foi, détermination et refus de se laisser abattre.
Elle venait elle-même d’apprendre ce diagnostic, par hasard, quelques jours auparavant, et partageait cela pour que l’on prie pour elle et son mari.
Ce qui m’a particulièrement touché dans ses paroles c’est quand elle m’a dit : « Tu sais, j’ai toujours remis ma vie entre les mains du Seigneur, à travers tout ce qui m’est arrivé, et je n’ai jamais douté de sa présence. J’étais d’ailleurs sereine à l’annonce du diagnostic, la semaine dernière, mais au fur et à mesure que la douleur progresse, ainsi que les malaises que cette maladie et les soins engendrent, j’ai peur, peur de ne pas y arriver – prie pour moi et pour Henri. Nous avons besoin de vous sentir à nos côtés.»
Ces paroles m’ont particulièrement touchée et interpellée : quand l’échéance de la vie est palpable, quand les jours sont comptés, le rapport à sa fin de vie est modifié : chaque instant, chaque geste, chaque parole prend une autre densité, et l’on ne peut plus « tricher » avec ses convictions et fondements, ni « gaspiller » son temps dans des futilités : on se concentre sur l’Essentiel, le Seul nécessaire. Tout prend une autre dimension, de gravité et de profondeur.
Je n’ai aucun doute que cette dame est profondément ancrée dans La Vie en Christ qui transcende les temps et les lieux. Je sais que pour elle, sa résurrection a déjà commencé, il y a bien longtemps et que c’est cela qui l’a gardée debout et battante tout au long des multiples épreuves qu’elle a affrontées.
Mais son trouble, à ce moment de grande intensité de vie, me touche et m’invite à méditer, dans une nouvelle humilité, ce mystère de la vie et de la mort.
Comme le dit le Père Irénée Fransen, père bénédictin et à présent allègre centenaire « Parler de résurrection n’a de signification que si l’on pose d’abord le fait de la mort comme premier et nécessaire. Le couple « mort et résurrection » est indissociable et incontournable. Ressusciter, cela ne veut pas dire esquiver la mort ou bien la compenser, mais s’affirmer vivant tandis que la mort est régnante »
Voilà le défi de notre foi ! Voilà ce à quoi notre cœur, notre esprit, notre vie entière ont à s’attacher, et cela nous est rappelé en cette fin d’année liturgique «Ressusciter, c’est s’affirmer vivant tandis que la mort est régnante »

Toute vie humaine est balisée par des parcelles de mort, et un jour, toutes ces parcelles s’unissent dans ce que l’on appelle « la mort ».
Semblablement, la vie humaine est marquée par des affirmations répétées d’une vie qui commence, parcelles de résurrection : « Toute existence humaine est … constituée d’une succession ininterrompue, …., de fragments de vie dont le noyau est toujours l’articulation d’une mort et d’une résurrection. Ainsi en est-il de la «marche » des vivants. On peut dire que la résurrection commence dès cette vie, par les fruits que chacun a semés sur les pas anticipés de sa mort. Nul ne peut vivre sans laisser de traces, sans creuser sur la terre un sillon, si mince ou si court soit-il, qui lui assure une sorte de prospérité, et donc de pérennité »
Croire à la résurrection, c’est voir le moment de sa mort comme le moment de sa vraie naissance.

Les deux textes bibliques entendus ce matin sont évidemment en lien avec le temps liturgique : approchant du terme de l’année ecclésiastique, ces textes évoquent la question de la « fin du monde » et la fin de sa vie pour le croyant.
Les lectures invitent à s’approprier cette perspective de l’accomplissement des temps, tant sur une base communautaire, collective, que personnelle, individuelle.
Dans un monde empli de menaces de tous ordres, qu’elles soient politiques, économiques, écologiques, ou qu’elles soient de l’ordre de la maladie engendrant fragilité, vulnérabilité, dépendance, les textes de ce matin veulent nous rappeler que nous sommes les témoins d’un avenir ouvert à tous.
L’auteur de ce chapitre 12 du livre de Daniel écrit à une période charnière : nous sommes au IIè s acn, dans le contexte de crise générée par Antiochus Epiphane.
Désireux de faire entrer ses territoires conquis dans l’esprit du temps, de les moderniser, Antiochus Epiphane ouvre Jérusalem et son rituel à l’hellénisme et à une modernisation du rituel, du culte. Il en arrive même à s’approprier les honneurs normalement rendus à Dieu seul ce qui entraîne une opposition des Juifs fidèles qui ne peuvent accepter ces sacrilèges. (Il était entré à cheval dans le temple de Jérusalem !)
S’en suit inévitablement une terrible persécution qui s’abat sur ceux qui refusent de plier.
C’est ce que l’on appellera la « révolte des Macchabées », et surtout le terrible martyr de jeunes gens, portés par leur foi et leur volonté de défendre le Dieu de l’Alliance.
Engagés dans des combats inégaux, ils sont fauchés dans la fleur de l’âge.
Cet état de fait conduit à une réflexion plus profonde : les «justes», les « bons » peuvent-ils se retrouver côte à côte avec les renégats dans le séjour des morts, sans «compensation» ? Peuvent-ils «dormir» ensemble ? Etre un martyr, ou un déserteur, un apostat , est-ce la même chose ?
Ceci interpelle et suscite questionnements, interrogations sur qui est Dieu, quelle est cette Alliance, quel est son engagement et sa fidélité ?
Daniel prend la parole et apporte d’abord une parole d’encouragement ; il est soucieux d’apporter un réconfort pour celles et ceux qui se trouvent aux prises avec ce terrible dilemme et cette lancinante question de la fidélité et de la présence de Dieu : est-il, ou non, dans ce Shéol où aboutissent celles et ceux qui paient de leur vie leur engagement pour défendre son honneur ?
Il leur dit : « En ce temps-là se lèvera Michel, le grand chef, celui qui tient bon en faveur des fils de ton peuple. Et ce sera un temps d’affliction, tel qu’il n’y en a pas eu depuis que les nations existent jusqu’à ce temps-ci. En ce temps-là, ton peuple échappera, quiconque sera trouvé inscrit dans le livre. Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte, pour l’abjection éternelle » (Dan 12 : 1-2)
Daniel leur dit : ce que vous voyez, c’est l’échec apparent, la mort, la disparition, la défaite des justes, des fidèles, et le triomphe des méchants, des violents, des injustes … mais vous ne voyez que ce qui est sur la terre … vous ne voyez pas ce qui se passe à un autre niveau. Dieu ne reste pas inactif.
Dans ce combat, il est déjà vainqueur, même si vous ne le voyez pas – une des caractéristiques du livre de Daniel est de présenter la vie du peuple de l’Alliance comme un combat.

Daniel, je l’ai dit, écrit à une nouvelle période charnière de la pensée du peuple.
La période de l’exil et du retour au VIè s acn avait déjà constitué un creuset fantastique de renouvellement, d’approfondissement de la pensée du peuple, mais maintenant, une nouvelle avancée se fait jour en cette période de trouble, de contestation, à l’époque hellénistique : avec les conquêtes d’Alexandre, et la création de l’Empire, l’humain est devenu citoyen du monde, de l’Oikouménè, du monde habité.
D’une manière surprenante, l’élargissement de l’horizon aux dimensions universelles a eu pour conséquence l’atomisation de la société en individus : l’humain de l’époque hellénistique est devenu un individu.
On observe donc qu’il s’opère un déplacement de l’accent : de la communauté comme entité (comme groupe) on en arrive à la communauté comme composée de « saints », de « gens réfléchis », de « ceux qui ont enseigné la justice à la multitude »: ceci est le fruit d’une transformation sociologique et philosophique importante.
Il s’agit ici de l’émergence de l’individu au sein du groupe, mais évidemment toujours en lien avec ce groupe.
Toutes les vies sont inscrites dans Le Livre et sont importantes individuellement, aux yeux du Seigneur de l’Histoire.
Ceci correspond donc à une évolution notable de la manière dont le croyant se lit, se voit, se conçoit au sein de cet univers qui à la fois l’englobe et le dépasse.

Daniel se fait le porte-parole d’un courant de pensée qui amène un recentrement de la pensée sur l’individu, sa responsabilité, une autre vision de lui-même et de Dieu.
C’est une évolution vers la découverte d’un individu qui existe pour lui-même en plus d’être membre du peuple. Un individu qui est responsable de son attitude et de ses choix face à Dieu et face au monde. Une évolution dans la conception d’un Dieu qui n’est plus seulement le Dieu d’un peuple, d’un peuple de fidèles, mais qui se manifeste comme un Dieu qui prend parti pour chacun de ces fidèles car leur nom figure dans le Livre.
La mention de la résurrection est une révolution de la pensée pour le croyant de l’époque … et aussi pour nous aujourd’hui: par-delà le mot tellement connu et utilisé dans notre tradition et dans nos prédications, célébrations, mesure t’on encore la portée révolutionnaire de ce mot, de cette réalité fondatrice de notre foi ?
Pour Israël, l’affirmation de cette résurrection n’est pas signe de l’intervention magique d’un « deux ex machina », comme une sorte de happy end après une émouvante histoire de fidélité de croyants au Dieu de l’Histoire.
C’est le fruit d’un travail de foi, de cœur ! Pour les peuples païens, la renaissance de leurs dieux au printemps était un fait de la nature, une affirmation issue de l’observation des cycles naturels, pour Israël, ce n’est pas l’affirmation d’un fait objectif, ni la volonté de protéger un état de fait (la vie reprend au printemps – point barre !) C’est un cri, une prière, un pari ! c’est une façon de donner sens à l’histoire, de manière à ce qu’au sein du désespoir, il y ait une espérance, qu’au milieu de la mort, il y ait VIE! Ce n’est pas le fruit d’une spéculation sur la fin, mais le fruit d’une réflexion sur l’ULTIME de la Vie ! « Ceux qui auront été des clairvoyants resplendiront » nous dit Daniel (v 3)
Quelle magnifique perspective que ce chantier qui s’ouvre à chacun ! Car sans implication personnelle, pas de force portante. Ce à quoi je ne m’attelle pas personnellement ne peut faire sens pour moi… et comme le disait Jacques Chopineau ( mon prof d’AT à la Fac de théologie) ces mots glisseront sur moi comme l’eau sur les plumes d’un canard) … comme le dit le Christ dans l’Evangile de ce jour : «Recevez l’enseignement du figuier: dès que ses branches deviennent tendres, et que ses feuilles poussent vous savez que l’été est proche » … réfléchissez, analysez, constatez, éprouvez les choses, tant avec votre cœur, qu’avec votre esprit.
Ne laissez personne d’autre vous confisquer votre réflexion, votre méditation, votre accueil de ce qui vous est réservé. Vous seul pouvez travailler dès maintenant à élaborer votre confiance, votre espérance, votre enracinement dans la présence de Celui qui sera à vos côtés en toutes circonstances, car votre nom figure dans le Livre.
« ceux qui auront été des clairvoyants resplendiront » (Dan 12 :3) …
Que nous puissions demander au Père cette clairvoyance et l’accueillir, de manière à être serein au moment où nous nous préparerons à la Rencontre.

« Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas » a dit le Christ –
Restons attachés à cette parole de réconfort et d’apaisement «que nos noms sont inscrits dans le livre » et qu’il nous appelle dès mtt à vivre cette clairvoyance et ce rayonnement de sa présence en nos vies.

Amen

Pasteure Isabelle Detavernier
Le 14 novembre 2021
(enregistré par Stéphane)